Theranos. Un concept révolutionnaire et une fondatrice de charme : la startup avait tout pour réussir ! Mais l’histoire était trop belle pour être vraie…

Theranos était l’emblème des licornes américaines, mais aujourd’hui c’est l’une des plus grosses fraudes dans l’univers startup. La petite startup est devenue en 12 ans de développement une licorne. Sa valorisation dépassait le milliard d’euros et montait jusqu’à 9 milliards de dollars.

Il faut dire que le concept était très séduisant : révolutionner le marché des tests sanguins, soit un marché de plus de 80 milliards de dollars rien qu’aux États-Unis. Comment ? En supprimant la piqûre ! Quelques goûtes prélevées au bout du doigt seulement. Et avec une promesse assez folle de rendre les résultats disponibles en 30 minutes seulement ! La miniaturisation de l’appareil permettait en plus d’en avoir directement au domicile des patients… Mais en Septembre 2018, c’est la fin de l’histoire. La liquidation de cette étoile déchue a été prononcée.

Comment cette fraude a-t-elle donc pu être montée ?

Etape 1 : Falsifier les analyses scientifiques

Les équipements de Theranos ont toujours donné des résultats hasardeux. C’est le résultat des analyses techniques qui auraient dû mettre en doute ce projet en premier lieu. Cela n’a pas été fait pour 2 principales raisons :

  1. Personne n’a vérifié les tests scientifiques : Personne n’a voulu remettre en cause l’efficacité des équipements de la startup. Tous les médias encensaient la startup révolutionnaire. Et il est parfois difficile d’aller à contre-courant en mettant en doute la véracité d’un concept, même si quelques voix se sont élevées pour dire que cela ne semblait pas possible.</li>
  2. Les analyses étaient réalisées par d’autres machines déjà au point : Grâce à John Carreyrou, journaliste au Wall Street Journal, on sait aujourd’hui que les analyses étaient effectuées par des machines de concurrents pour compenser les résultats fantaisistes de celles de Theranos

Etape 2 : Bien s’entourer avec des personnes connues qui rassurent

Toute bonne escroquerie commence par une opération de séduction pour rassurer la cible. La séduction diminue la vigilance des partenaires. Dans le cas de Theranos, la séduction a servi à rendre la promesse attrayante et crédible. Pour Theranos, la promesse attrayante est à la fois économique (capter une part significative d’un énorme marché) et humanitaire (améliorer le sort des patients).

Une fondatrice séduisante : Elizabeth Holmes

La séduction commence avec la startuppeuse fondatrice : Elizabeth Holmes. Ses beaux cheveux blonds, son regard perçant et sa motivation suffiraient à endormir quelques personnes. Là où on pourrait être plus surpris, c’est au niveau du background de la jeune femme. En effet, elle monte Theranos dans un secteur dans lequel elle n’a aucun diplôme. Mais la fièvre des investisseurs occulte complètement ce paramètre. Elle a le profil parfait du « drop out » – décrocheur – après avoir quitté Stanford en première année. Elle fait penser à Steve Jobs, Marc Zuckerberg et autres grands startuppers. D’autant qu’elle a utilisé sa bourse scolaire comme capital de départ de sa startup ! Ce storytelling plaît beaucoup aux investisseurs US…

Le charisme vaut compétence.
Et c’est un problème.
Hervé Laroche

Des investisseurs et un conseil d’administration prestigieux

Elizabeth Holmes capitalise sur son aura et rassemble de grands autour d’elle. Le conseil d’administration de Theranos attire des pointures de l’investissement dont Larry Ellison et Rupert Murdoch. Mais aussi 2 anciens secrétaires d’Etat et le général Mattis, secrétaire à la Défense sous le mandat de Trump. Les investisseurs y perdront leurs investissements, mais c’est le risque inhérent à toute startup.

Des managers au top passés par les plus grandes startups

Pour donner encore plus de crédibilité au projet, des spécialistes de l’innovation sont appelés en renfort. Des managers sont débauchés de chez Apple notamment pour conserver l’esprit visionnaire et révolutionnaire du projet. Mais c’est là que commence le mensonge de la startup. Certains managers de Theranos font passer de simples projets de collaboration technique avec des partenaires prestigieux (grandes firmes pharmaceutiques, armée) pour des contrats commerciaux importants.

Etape 3 : Créer une protection opaque pour ne pas dévoiler la technologie

Tous les investisseurs ont conscience qu’il existe un risque assez important sur ce projet. Mais le potentiel de gain est tellement élevé si la technologie est bien celle que l’on espère, que l’on questionne peu le concept. Rappelons que la startup a été créée dans la Silicon Valley, un eco-système habitué au risque mais aussi habitué à un certain secret autour des concepts.

Lorsque l’on monte une startup ultra-technologique, on veut éviter d’en révéler le fonctionnement dans le détail pour ne pas être copié et garder l’avance que l’on a. Cette précaution garantit une bonne protection contre les questions trop précises sur la technologie développée. Dans un sens, c’est un peu le revers de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire des brevets, qui permettent un secret légitime.

Etape 4 : Cloisonner le travail pour que personne n’ait de vue d’ensemble

La protection de la technologie impose souvent un cloisonnement. Les équipes de développeurs sont cloisonnées. Personne n’a de réelle vue d’ensemble des projets. Vis-à-vis de l’extérieur, les règles de confidentialité et de sécurité sont drastiques. De nombreux « Non Disclosure Agreements » (NDA) sont signés par tous les tiers en lien avec la startup Theranos. Et la folie de la sécurité envahit peu à peu les locaux de l’entreprise. Des hommes de noir vêtus et équipés d’oreillettes surveillent les allées et venues du personnel au sein des locaux.

Prétendant protéger des informations substantielles, c’est en fait le secret fondamental, c’est-à-dire l’inexistence d’informations substantielles (ou leur faible consistance), qu’il s’agit de préserver.
Hervé Laroche, professeur à l’ESCP

Aussi les licenciements des dissidents sont fréquents, brutaux. Les intimidations dont des menaces de ruine sont portées à l’encontre de certains par la startuppeuse et son mari, numéro 2 de Theranos.

Etape 5 : Rentrer dans l’illégalité en créant des faux

La démonstration scientifique initiale est le premier faux de la longue liste du dossier Theranos. Estimation du chiffre d’affaires, expertise technique, présentations marketing : tout est faux. Certaines expérimentations avaient tout de même montré des lacunes dans le concept. Mais les échecs ont été mis sur le compte d’aléas du prototype, sans remettre en cause le concept de base.

Theranos arrive à berner les autorités de contrôle qui ne participe pas directement aux tests. Pour cela, la startup fournit des set de données trafiquées qui font penser que l’équipement fonctionne. Mais la startuppeuse va plus loin et ment ouvertement lorsqu’elle se prévaut d’une validation scientifique appuyée par l’université John Hopkins. Au lieu d’une confirmation scientifique et technique, elle a seulement obtenu une lettre d’intérêt de la part de la prestigieuse université.

Ce qui est surprenant, c’est qu’il semble que la fraude Theranos soit le fruit d’un engrenage terrible. L’idée était bonne, bien qu’un peu folle. Beaucoup d’idées de la Silicon Valley commencent ainsi ! Au départ le projet était sûrement honnête, mais un retard dans la technologie a certainement conduit à mentir sur un premier rapport en se disant que ce serait temporaire. Mais le temporaire devient du long terme et le mensonge grossit jusqu’à éclater. Pour Theranos l’histoire se termine par une liquidation.